Haggadah de Sarajevo

Aujourd’hui, je vous propose de découvrir un nouveau manuscrit médiéval de langue hébraïque et d’origine sépharade, remarquable pour son esthétique et ses enluminures mais aussi pour son histoire et son parcours ; la Haggadah de Sarajevo.

Ce manuscrit précieux, considéré comme patrimoine documentaire a été soumis par la Bosnie-Herzégovine et recommandé par l’UNESCO à l’inscription au Registre Mémoire du Monde en 2017. Il est également inscrit comme Monument national de Bosnie-Herzégovine depuis 2003.

Copié au Nord de la Péninsule ibérique (probablement dans le Royaume d’Aragon) vers 1350, ce manuscrit richement décoré contient plus de 140 feuillets dont 34 folios sur lesquels se trouvent un total de 69 miniatures et enluminures. Celles-ci illustrent des extraits de la Torah : par exemple les Sept jours de la Création, l’histoire de Caïn et Abel, de Lot, le sacrifice d’Isaac, la fuite des Israélites et le passage de la Mer Rouge etc. Les folios suivants contiennent le texte liturgique, avec, notamment, les prières pour la fête de Pessah et les instructions pour le rituel du Séder. La présence du manuscrit à Sarajevo est attestée à la fin du 19e siècle mais demeure mystérieuse. La Haggadah, selon l’hypothèse la plus plausible, aurait quitté l’Espagne au moment de l’expulsion des Juifs en 1492.

Au sein de ses folios se trouvent des écritures qui signalent sa présence en Italie du Nord à la fin du 16e siècle et au début du 17e siècle. Elles sont probablement l’œuvre de l’Inquisition car elles signalent que l’ouvrage ne contient pas de propos allant contre l’Eglise chrétienne.Le manuscrit réapparaît ensuite seulement en 1894 dans les mains d’un certain Josef Cohen à Sarajevo qui le vend alors au Musée national de Bosnie-Herzégovine.

Cependant, son histoire ne s’arrête pas ici. Pendant la seconde guerre mondiale, le manuscrit fut déplacé et caché des troupes nazies grâce à l’action du conservateur du Musée, Jozo Petrovic, avec l’aide du bibliothécaire Dervis Korkut, qui fit sortir l’ouvrage de la ville. C’est dans la mosquée d’un petit village de montagne que la Haggadah fut cachée et conservée jusqu’à la fin de la guerre. Puis, quelques décennies plus tard, le manuscrit fut à nouveau caché lors de la guerre de Bosnie dès 1992 ; cette fois dans le coffre-fort d’une banque.

Suite à de nombreuses rumeurs sur l’éventualité d’un vol de la part des armées ou d’une vente du manuscrit contre des armes, les autorités bosniaques ont présenté le manuscrit à la synagogue ashkénaze de Sarajevo en 1995, lors de la cérémonie du Seder de Pessah, devant la presse.

Entre 2001 et 2002, la Haggadah de Sarajevo fut restaurée grâce à une campagne conjointe des Nations Unies et de la Communauté juive de Bosnie-Herzégovine, permettant d’exposer à nouveau, de manière ponctuelle, le manuscrit au public et faisant de celui-ci un symbole du processus de paix. Cependant, faute de moyens, la Haggadah n’est par la suite plus exposée et la salle spécialement conçue pour son exposition est fermée en 2012.Enfin, c’est en 2017 qu’est mis en place le projet international « Haggadah, plus proche de vous » lancé par l’UNESCO qui va permettre de réexposer de ce trésor au public. Des travaux au Musée national de Bosnie-Herzégovine sont alors entrepris : rénovation de la salle d’exposition, mise en place de systèmes d’éclairage, de température et d’hygrométrie mais également installation d’un écran géant pour feuilleter virtuellement le manuscrit. Ainsi, la Haggadah est désormais exposée au public dans les meilleures conditions.

Je vous propose maintenant de découvrir quelques visuels de ce manuscrit parmi les plus remarquables :

1 : la Haggadah de Sarajevo exposée, partie du manuscrit contenant les différents textes liturgiques, ici avec un mot initial décoré.

2 : Esaü béni par Isaac (en haut) et le Songe de Jacob (en bas)

3 : scènes d’Adam et Eve

4 : en haut, le passage de la Mer Rouge

5 : Moïse et le buisson ardent (haut) et (bas) Aaron et les bâtons des magiciens changés en serpents (Exode 7 :12)

6 : Lot s’enfuit de Sodome (haut) et le sacrifice d’Isaac (en bas)

7 : représentation du maror (herbes amères), ici un artichaut (consommé dans le rituel sépharade)

8 : représentation de la table du Séder

Source : Unesco
Raphaëlle Barbier