Chaque semaine, notre bibliothécaire Thomas Schauder vous propose de découvrir « Le livre de la semaine », un livre disponible dans la bibliothèque de l’Institut Rachi. N’hésitez pas à venir le consulter.

Semaine du 8 janvier 2018

Yitzkhok Laybush Peretz (1852-1915), Les oubliés du shtetl, Pocket – Terre Humaine, 2010

livre de la semaine "Les oubliés du shtetl" disponible à la bibliothèque de l'institut RachiEn 1890, une importante enquête sociologique est mise en place afin de démontrer aux autorités de l’Empire Russe que sa propagande antisémite, selon laquelle les Juifs sont riches et veulent dominer le monde, est complètement fausse. Une partie de ce travail (dont la publication sera interdite par les autorités) est confiée à l’un des plus importants auteurs de langue yiddish, Y.L Peretz. Il entreprend un voyage dans les shtetlech du district de Tomaszow (Pologne actuelle) et nous laisse ainsi le portrait d’un monde que les pogroms et la Shoah (sans oublier les pogroms qui ont suivi la Shoah) ont fait disparaître.

Qu’est-ce qu’un shtetl ? C’est littéralement une « petit ville »ou un quartier habité par des juifs. Au-delà d’un simple terme, c’est un véritable mode de vie, organisé autour de la synagogue, de la yeshivè (l’académie talmudique), du kheyder (l’école) et de la maison. L’année y est rythmée de manière immuable par le Chabbath et les Fêtes religieuses, les circoncisions et les mariages. On se dispute pour des histoires de cacherouth (règles alimentaires), de couleur de châle de prière et pour savoir quel est le plus grand mérite de tel ou tel rabbin. Et on y dort dans des masures, le ventre vide ou peu s’en faut, dans la crasse et la misère. Car, loin des préjugés antisémites, c’est bien la pauvreté incroyable des habitants qui va impressionner Peretz. L’interdiction de certains métiers aux Juifs les oblige à inventer toutes sortes d’expédients pour survivre et nourrir leur famille.

Mais le portrait qu’en dresse Peretz n’est pas misérabiliste. Au contraire, il cherche à montrer ce qu’il y a de joie, d’humour et de vie dans ces terribles conditions. Les années 1890 sont marquées par d’extraordinaires débats dans les communautés juives ashkénazes. Débats politiques entre socialistes, sionistes et partisans de l’assimilation. Débats théologiques entre les hassidim, la Haskalah et les orthodoxes. Débats linguistiques entre partisans de l’hébreu, du yiddish et des langues véhiculaires (allemand, polonais, etc). C’est cette richesse d’un monde fragile et qui a conscience de l’être que l’histoire va venir broyer, de sorte à ce qu’aujourd’hui il n’en reste rien.

Sorte de Lévi-Strauss, décrivant avec soin des cultures lointaines et exotiques destinées à disparaître, Peretz fait entendre les airs klezmer, la musique du yiddish (égrainé de Nu! et de Oy!), le légendaire humour juif (comme ce rabbin qui est tout heureux que sa maison ait brûlé parce qu’elle était trop loin de la maison d’étude), mélange d’auto-dérision, de stoïcisme et de conscience tragique.